• Il était tout juste trois heures trente-trois du matin, quand Aelys commença à s’agiter dans son sommeil, légèrement tout d’abord puis de plus en plus violemment. Samiel lui caressa les cheveux pour l’apaiser, mais cela n’eut pas l’effet escompté, alors il plongea dans son subconscient pour voir ce qui troublait son repos. Le même rêve qui l’avait terrifiée quelques mois plus tôt refaisait surface. Le même couloir sombre, le même inconnu masqué qui la poursuivait sans relâche. Il la vit tenter de fuir mais ce dernier gagnait de plus en plus de terrain.

     

    Il tenta de dissiper le cauchemar, comme il l’avait déjà fait par le passé, mais cette fois-ci, une chose étrange se produisit. Au lieu de disparaître, le cauchemar s’intensifia et la jeune femme se mit à trembler de manière incontrôlée. Habituellement, l’inconnu masqué ne faisait que lui courir après sans jamais réussir à l’atteindre, car elle se réveillait toujours avant, mais cette fois fût différente, en quelques secondes il fût près d’elle et lui attrapa le bras. Il avait réussi cette fois et avait ôté son masque. Sous celui-ci, il n’y avait rien, c’était un homme sans visage. 

     

     

     

    Il enfonça ses doigts griffus dans le bras Aelys et l’attira à lui. Sa voix s’éleva alors comme un écho malfaisant :

     

    - Bientôt… très bientôt, tu seras mienne. 

     

    Le hurlement qu’elle poussa lui permit de sortir de ce mauvais rêve. Elle s’assit sur son lit le souffle court et le cœur battant à tout rompre. Elle se blottit dans les bras de Samiel qui avait été expulsé de son subconscient dès l’instant où elle avait ouvert les yeux :

     

    - Oh Sam ! C’était horrible, j’ai fait un cauchemar atroce !!! 

    - Je sais, j’ai tout vu.

     

     

    Elle le regarda surprise :

     

    - Quoi ?!?!? 

    - Il m’est possible de visiter les rêves de ceux qui dorment, et de dissiper un cauchemar trop éprouvant. Mais là, pour une raison que j’ignore, je n’y suis pas parvenu, alors que je l’avais déjà fait pour toi dans le passé. Je dois te dire que ce n’est pas la première fois que tu fais ce cauchemar là, mais il n’était pas comme la dernière fois. 

    - Ça avait l’air tellement vrai, j’ai eût si peur Sam, j’ai vraiment cru qu’il m’avait attrapée cette fois, lui répondit Aelys.

     

    Une douleur sur son bras attira soudain son attention, et elle se rendit compte qu’elle saignait. Les marques de griffures étaient bien visibles. Elle regarda alors Samiel, et dans ses yeux celui-ci pu lire l’angoisse qui la tenaillait :

     

    - Qu’est-ce que ça veut dire ? Sam ? 

    - Je n’en suis pas sûr, mais je crois qu’ils essayent de te faire embrasser les ténèbres, c’est un avertissement je pense. J’irai me renseigner et voir si il y a lieu de nous alarmer. Je risque d’être absent assez longtemps, le temps pour moi de trouver des réponses… Pour que tu comprennes bien, le temps ne s’écoule pas de la même manière là où je vais, pour moi ce ne sera que trois ou quatre heures, mais pour toi, la journée sera entièrement écoulée. Je serai sans doute de retour tard dans la nuit ou demain matin. Mais je te promets de faire vite. Il te faudra être extrêmement vigilante pendant mon absence, car je ne pourrai pas entendre si tu as besoin de moi. Promets-moi de ne pas faire d’imprudence et de prendre soin de toi. D’accord ?

    - D’accord, dit-elle un peu dépitée, mais est-ce que tu dois y aller tout de suite ? Je ne me sens pas très rassurée après tout ça…

    - Ne t’inquiètes pas, je vais rester avec toi jusqu’au matin. Je vais soigner cette vilaine blessure et tu vas essayer de te rendormir.

    - Ce n’est pas nécessaire, d’ici quelques minutes, ça aura guérit tout seul. 

     

     

    Et en effet quelques minutes plus tard, il n’y avait déjà plus rien. Le sommeil l’ayant définitivement fuit, Aelys et Samiel se mirent à discuter jusqu’au lever du jour, puis vint le moment où celui-ci dû partir.

     

     

    Aelys le regardait les yeux pleins de larmes, mais elle se montra courageuse et sourit bravement :

     

    - Reviens-moi vite, mon amour.

     

    Il s’embrassèrent passionnément, désespérément et pour Aelys, ce baiser eût un goût d’adieu.

     

     

    (…)

     

    Plus tard dans la journée, Aelys prit son courage à deux mains afin d’appeler Alastair. Elle voulait faire les choses convenablement pour ne pas le heurter, et pendant que les sonneries s’égrenaient, son esprit s’affolait sur le choix des mots qu’elle devait utiliser. 

     

     

     

    A tel point qu’au moment où il décrocha, elle bafouilla :

     

    - Euh… Allo ? Al… Alastair ?

    - Aelys ! Quel plaisir de vous entendre ma chère, j’attendais impatiemment votre appel. Comment allez-vous ? 

    - Disons que j’ai connu mieux… Excusez-moi vraiment si je vous dérange Alastair, mais est-ce que nous pourrions nous voir ? C’est au sujet…

    - De ma proposition, lui coupa-t-il la parole, (…) Pourquoi est-ce que je sens que je ne vais pas aimer votre réponse ? reprit-il après un silence.

    - Ecoutez, je préfèrerais vraiment que nous en discutions de vive voix.

    - Je suis malheureusement pris pour le moment, mais je vous propose de vous emmener dîner ce soir. Au moins si vous rompez notre relation, j’aurai au moins la consolation d’avoir dégusté un bon repas accompagné d’une excellente bouteille de vin. Cela vous convient-il ?  

     

     

     

    Aelys accepta la proposition et raccrocha le cœur un peu lourd. Elle détestait avoir à faire ça, faire du mal aux autres était loin de sa nature profondément bienveillante. 

     

    ***Je n’ai pas le choix, je ne peux laisser ce pauvre Alastair penser que je serai sa femme, je ne peux pas jouer avec ses sentiments. Il va terriblement souffrir, mais il le faut. ***

     

    (…)

     

    - OLSTER !!!! 

    - Vous m’avez demandé Monsieur ? s’inclina le majordome quelques minutes plus tard.

    - Ah ! Vous voilà mon fidèle factotum, nous allons devoir accélérer nos préparatifs, ça se passera ce soir ! Hâtez-vous pour que tout soit fin prêt à mon retour !

    - Bien Monsieur, vous pouvez compter sur moi, répondit l’homme avant de s’éclipser discrètement.

     

     

     

    Puis Alastair se tourna vers le feu qui crépitait dans la cheminée, le regard luisant d’un éclat malveillant :

     

    - Mère… cessez donc de m’épier ainsi, vous savez très bien que j’ai cela en horreur. Honorez-moi plutôt de votre présence. 

     

    Lilith apparu, assise dans le grand fauteuil qui faisait face à la cheminée :

     

    - T’épier ? Mais quel vilain mot… je m’assure juste que nos plans se déroulent tels que nous le souhaitons.

    - Et bien, félicitez-moi, mère … je vais me marier, ce soir.

     

    (…)

     

    A l’heure convenue, Alastair, se présenta chez Aelys, beau comme un astre. Comme la première fois qu’elle l’avait rencontré, Aelys en resta bouche bée. Le charisme et le magnétisme qui se dégageait du jeune homme, eurent sur elle comme un effet hypnotique. Comme lors de leur première rencontre, le jeune homme lui fit un baisemain :

     

    - Bonsoir Aelys, dit-il de sa voix grave et profonde, ce qui eût pour effet de la tirer de sa contemplation.

    - Bonsoir Alastair, vous êtes, très beau ce soir.

    - Je vous remercie et vous, vous êtes éblouissante, comme toujours. Nous y allons ?

     

    Toujours très galant, ce dernier tint la portière de la voiture afin que la jeune femme s’y installe. Après s’y être lui-même installé, il se tourna vers elle :

     

    - J’ai fait réserver dans votre restaurant préféré.

    - C’est une très délicate attention de votre part, répondit-elle touchée. 

     

    Elle croisa les doigts sur ses genoux et s’absorba dans leur contemplation, alors que le jeune homme manœuvrait son bolide. Elle avait la gorge nouée. Comment aborder le sujet ? Elle avait retourné la question dans tous les sens durant l’après-midi, cherchant la meilleure manière pour que l’entrevue ne tourne pas au drame. 

     

     

    Trop vite au goût d’Aelys, le moment fatidique arriva. Ils étaient attablés au restaurant, avaient passé commande, et avaient entamé leur dîner. Elle ne pouvait plus repousser l’échéance :

     

    - Alastair…dit-elle en reposant sa fourchette.

    - Nous y voilà, soupira-t-il, l’air grave.

    - C’est très difficile pour moi, je vous assure. J’ai été très flattée de votre proposition, vous êtes un homme merveilleux, plein d’attention, cultivé, charmant… N’importe quelle femme serait heureuse de devenir votre épouse…

    - Mais pas vous… répondit-il en affichant un visage faussement attristé.

    - Dans un autre contexte, j’aurais accepté votre demande avec joie. Mais je dois être honnête avec vous, je ne peux pas vous épouser car j’en aime un autre. Je ne pensais pas le retrouver un jour, mais voilà… il est de retour et je ne peux ignorer mes sentiments.

    - Oh… je comprends et qui est mon rival ?

    - …, je ne peux pas vous le dire. C’est une situation extrêmement compliquée, et je crains que vous ne la compreniez pas. Oh Alastair, je vous en prie, ne m’en veuillez pas. 

    - Et bien, je vois… je ne peux pas lutter. Je ne vous en veux pas, tout ce qui m’importe c’est que vous soyez heureuse. Mais allez-vous aussi m’enlever vôtre amitié ? J’aimerais bien que nous gardions le contact, au moins professionnellement, cela pourrait donner de belles collaborations. Qu’en dites-vous ?

    - Merci Alastair, merci de votre compréhension, j’accepte bien évidement.

     

    Soulagée que tout ce fût passé mieux qu’elle ne le pensait, Aelys se détendit. Au bout d’un moment, le portable d’Alastair sonna. Celui-ci s’excusa et s’éloigna pour prendre l’appel. Il revint quelques minutes plus tard, la mine contrite : 

     

    - Ma chère, je suis désolé, mais je vais devoir écourter notre dîner, Olster m’apprend à l’instant que ma mère s’est trouvée mal, je vais vous raccompagner et aller à son chevet. Notre médecin de famille est déjà sur place.

    - Non Alastair, je vous accompagne, il n’est pas question que je vous laisse seul en pareil instant. Vous aurez certainement besoin de soutien. 

    - Je vous remercie de votre sollicitude, murmura-t-il avec un demi-sourire.

     

    Ils se mirent donc en route, et une demi-heure plus tard furent en vue du manoir. A peine le véhicule eût atteint l’allée, qu’Olster fût debout sur le seuil.

     

    - Heureux de vous revoir mademoiselle, répondit-il à Aelys quand elle le salua. Son regard glacial démentait ses paroles, et la jeune femme en eût froid dans le dos. 

      

     

    Alastair, chuchota quelques mots à l’oreille de son majordome avant de disparaître dans une pièce voisine. Ce dernier fit signe à Aelys de le suivre, et sans l’attendre prit la direction d’un couloir sombre. 

     

     

    La jeune femme trottina derrière lui en silence, jusqu’à ce qu’il daigne lui adresser de nouveau la parole :

     

    - Monsieur va vous rejoindre dans un instant, en attendant vous pourrez patienter tranquillement ici.

     

    Il ouvrit une porte qui donnait sur une grande pièce circulaire dont les murs était drapés de tissus noirs et éclairées de centaines de candélabres aux bougies incandescentes. Aelys ne comprit pas trop à quoi pouvait bien servir cette pièce et mue par la curiosité, fit quelques pas avant de regarder autour d’elle. 

     

     

    Sur le sol, de riches tapis damassés étaient disposés en vrac et deux grands fauteuils à haut dossiers ressemblant à des trônes faisaient face à ce qui lui sembla être un autel de marbre noir placé au centre de la pièce. Un énorme livre relié de cuir noir y était posé.

     

    - Olster ? A quoi donc sert cette pièce ? demanda-t-elle, tout en continuant à regarder l’autel.

     

    Voyant qu’elle n’obtenait aucune réponse, elle se retourna et se rendit compte qu’elle était seule. Elle haussa les épaules et reporta son attention sur son environnement. Intriguée, elle avança pour voir l’ouvrage de plus près, mais son attention fût attirée par une alcôve dissimulée par un rideau de velours noir tout au fond de la salle. A petit pas, elle s’en approcha et souleva le rideau qui cachait une lourde porte en bois massif. Elle l’ouvrit et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Il s’agissait d’une chambre richement décorée. Un magnifique lit à baldaquin trônait en son centre. Le meuble semblait ancien et fait d’un bois très précieux, Aelys remarqua que les draps semblaient avoir été récemment changés. Perplexe, elle referma la porte et reporta son attention sur le livre. 

     

     

    Tandis qu’elle montait les trois petites marches qui menaient vers la chaire, une sensation étrange l’envahit. La couverture du livre était richement décorée d’arabesques d’or et de signes cabalistiques. Elle tendit la main dans l’intention de le feuilleter, mais se ravisa et redescendit les marches. Elle s’assit sur l’un des sièges et se rendit compte que ses mains tremblaient. 

     

    *** Je ne devrais pas être là, je dois rentrer***

     

    Au moment où elle s’apprêtait à se lever, la porte s’ouvrit et Alastair entra dans la pièce, suivit d’Olster qui portait quelque chose qu’Aelys ne put distinguer. Il avait changé de tenue et semblait être apprêté pour une cérémonie. 

     

     

    Avec un sourire charmeur, il désigna le siège où était assise la jeune femme :

     

    - A vous regarder assise là, je dois avouer que vous avez tout à fait l’attitude d’une reine… mais encore un peu de patience ma chère, vous n’êtes pas encore couronnée. 

    - Couronnée ? Mais Alastair, de quoi parlez-vous ?

    - Mais de notre cérémonie de mariage, ma chérie. Ce soir, vous deviendrez la reine des enfers.

     

     

     

     

    ********************

     

     

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