• L’instant d’après, les pieds nus de Samiel s’enfoncèrent dans le sable du désert de Gobi. Le froid insupportable qui y régnait à cette époque de l’année aurait gelé sur place n’importe quel être humain, mais la condition de Samiel faisait qu’il se sentait aussi à l’aise que devant un bon feu de cheminée.  Le temps ne s’écoulant pas de la même manière que dans l’Heaven, il était déjà trois heures du matin sur Terre. Pas un seul instant l’idée n’effleura Samiel, qu’Aelys aurait pu avoir besoin de lui. Le visage levé vers le ciel piqueté d’étoiles, il communiait avec la nature, cherchant à calmer la furie qui menaçait de l’envahir. Il devait faire attention et maîtriser ses émotions, s’il ne voulait pas finir dans le néant.

     

    Mais rien n’y faisait, il ne comprenait pas pourquoi Raphaël refusait ainsi de l’aider. Il ne pouvait même pas en référer en plus haut lieu, car dans la hiérarchie angélique, Raphaël était son supérieur hiérarchique direct. Raphaël que l’on surnommait « Le Protecteur », étaient l’un des trois archanges qui avaient l’honneur de se tenir devant la face du Père.  De ses deux frères, Gabriel « le Messager » et Michaël « le Guerrier », Raphaël était le plus magnanime. Et il ne viendrait même pas à l’idée de Samiel de faire irruption dans leur Eden, car avant même qu’il n’ouvre la bouche, Michaël, qui n’était pas connu pour sa patience, le désintègrerait sans autre forme de cérémonie. 

    Il resta là à respirer l’air glacé, ses cheveux lui fouettaient le visage. Exactement à 3h33 du matin, un hurlement strident résonna dans sa tête :

     

    - Aelys !!!! Noooooon !!! 

     

     

    La seconde suivante, il était dans sa chambre. Elle était profondément endormie et il le vit, penché sur elle, ses doigts crochus touchaient presque sa joue. Une colère incompréhensible l’envahit :

     

    - Hey ! Toi ! L’immondice !!! Ne la touche pas !!!

     

    Le démon sursauta en voyant l’ange, mais il reprit rapidement contenance :

     

    - Tiens, tiens, tiens… un p’tit angelot, dit-il en souriant, mais c’est qu’elle a des relations cette petite pute.

    - Dégage avant que je ne te réexpédie en enfer !!! siffla Samiel

     

     

    Le démon ne parût pas impressionné outre-mesure, et fit un pas en avant en rigolant :

    - Oh oui, des menaces… Vas-y continue… j’adore ça. Fais-moi voir un peu de quoi tu es capable ! 

    Il passa sa langue sur ses dents et parut prêt à s’élancer. Samiel anticipa son geste et dévoila sa face angélique, celle qu’il ne devait jamais exposer dans le monde humain. Il déploya une énergie si fabuleuse, qu’elle désintégra son adversaire, le réduisant à néant. Il n’en resta rien.

     

    Aelys se réveilla en sursaut et regarda autour d’elle :

     

    - Qui est là ? 

     

    Elle rejeta sa couette sur le côté et se leva. Elle semblait sonder la pièce du regard, mais elle ne put voir Samiel qui s’était rendu invisible dès l’instant où elle avait ouvert les yeux.

     

    - Qui est là ???? répéta-t-elle, Je sais qu’il y a quelqu’un !!!! Montrez-vous !!!!

     

     

     

    Elle semblait au bord de la crise de panique. Samiel s’approcha doucement d’elle et l’enveloppa dans ses bras puissants. Elle s’endormit instantanément et il la retint avant qu’elle ne s’écroule par terre. Il la posa délicatement dans son lit et la borda. 

     

     

    Pensif, il resta là, à la regarder dormir paisiblement. 

     

    ***Pourquoi ce démon m’a-t-il provoqué ainsi ? Visiblement, ce n’était même pas un démon de seconde classe… Il devait bien se douter qu’il n’avait aucune chance… Je ne comprends pas…*** 

     

    (…)

     

    Les heures s’écoulaient lentement, et dehors, le ciel commençait à s’éclaircir, le jour n’allait pas tarder à se lever. Aelys s’agita dans son sommeil. Avant de réaliser ce qu’il faisait, Samiel s’allongea à ses côtés et la serra dans ses bras pour la réconforter. Elle se blottit contre lui en soupirant, et un mot vint mourir sur ses lèvres.

     

    Ethan…

     

     

    (…)

     

     

    Quand Aelys se reconnecta à la réalité, il était déjà 10h. Elle se sentit un peu groggy, comme un lendemain de fête trop arrosée. Ses souvenirs de la nuit étaient flous et elle se rappelait vaguement avoir eu une sensation d’étouffement pendant son sommeil et le sentiment d’angoisse qu’elle avait ressenti. 

     

    *** Il s’est passé quelque chose ici hier soir…***

     

    Elle laissa son regard errer à travers sa chambre, mais ne décela rien de particulier. Finalement, elle se décida à quitter son lit, et en traversant la pièce pour se rendre dans la cuisine, Aelys s’arrêta net.  Quelque chose n’allait décidément pas. Elle tourna lentement sur elle-même les mains levées comme pour palper l’air.

     

    - S’il y a quelqu’un, je vous préviens… Vous avez intérêt à vous montrer, sinon ça risque de barder pour vos miches !

    Samiel, debout dans un coin de la pièce, l’observait avec inquiétude. 

     

    *** Je ferais mieux de m’éclipser. ***

     

    De crainte qu’elle ne sente sa présence, il disparut brusquement. 

     

     

    Après un moment à tourner dans sa chambre en vain, Aelys se décida à se rendre à la cuisine. Elle se fit couler un café serré, puis s’installa dans un petit fauteuil moelleux au coin de la fenêtre. Elle leva les yeux vers le ciel qui restait toujours maussade, le sentiment de solitude qu’elle ressentait la veille se manifesta de nouveau. Elle caressa l’anneau d’or suspendu à une chaîne accrochée à son cou et dont elle ne se séparait jamais. Une larme glissa sur sa joue et dans le même temps une petite pluie fine vint s’écraser contre les vitres. Ses doigts se crispèrent sur la tasse de café qui refroidissait. Ses pensées étaient confuses :

     

    *** J’aimerais tellement que tout ça se termine. Je n’ai pas demandé à avoir ces pouvoirs, j’aimerais pouvoir vivre un jour normalement. ***

     

    Deux coups discrets frappés à sa porte, attirèrent son attention et la tirèrent de ses réflexions moroses. Qui pouvait bien venir la voir un dimanche matin ? Jamais personne ne venait lui rendre visite, hormis Dominic, mais c’était très rare et il y avait fort peu de chance que ce soit lui.

    Posant sa tasse sur le comptoir de la cuisine, elle jeta un œil dans le judas. Un sourire éclaira alors son visage et elle ouvrit la porte. Samiel se tenait debout dans le couloir, un peu mal à l’aise.

     

    - Salut toi ! lança-t-elle.

    - Bonjour Aelys, excuse-moi si je te dérange un dimanche matin, mais je venais voir si tout allait bien pour toi. Je me sentais un peu mal de t’avoir laissée comme ça hier.

    - Mais quel homme attentionné tu fais, mon cher Sam. Je te rassure, tu ne me déranges pas du tout. Je viens de me faire un café, tu en veux un ?

    - Oh non, merci. Je ne veux pas m’imposer, je voulais juste m’assurer que tu allais bien.

    - Tu sais que tu es adorable toi ? Allez, ne te fais pas prier, entre prendre un café.

     

     

    Elle ouvrit la porte un peu plus pour le laisser passer. 

     

    - C’est très gentil de ta part, dit Samiel en pénétrant dans l’appartement. 

    - Installe-toi au salon, j’arrive tout de suite.

     

    Quelques instants plus tard, elle lui tendait une tasse de café fumant. Elle s’assit à côté de lui sur le canapé et replia ses jambes sous elle.

     

    - Alors ? Tu as pu rencontrer ton client ? lui demanda-t-elle

    - Oui… En fait, il s’agissait d’un couple, répondit Samiel après avoir avalé une gorgée de café. 

    - Ouah ! Un couple célèbre ? Je les connais ?

    - Tu les connais, en effet, mais je ne peux pas t’en dire plus, question de confidentialité, tu me comprends, j’espère ?

    - Oh ! Ne t’en fais pas, je comprends parfaitement. Le boulot c’est le boulot, dit-elle en lui faisant un clin d’œil complice. 

    - Et toi ? Qu’as-tu fais hier après que je t’ai laissé ?

    - J’ai rendu visite à mes parents.

     

    Samiel qui venait de porter la tasse à ses lèvres, manqua s’étrangler en avalant sa gorgée de café.

     

    - Quoi ???

     

    Aelys pouffa de rire :

     

    - Oui, au cimetière, tu croyais quoi ?

    - Rien, rien, ça tombe sous le sens en effet, je ne sais pas quelle idée saugrenue m’est venue à l’esprit, répondit-il un peu mal à l’aise.

     

    *** Mince, j’aurais pu me trahir sur ce coup-là ***

     

    - Dis donc Sam, tu as prévu quelque chose aujourd’hui ? Tu travailles peut-être ?

    - Non, c’est mon jour de repos aujourd’hui. Je n’ai rien prévu de spécial, pourquoi ?

    - Est-ce que ça te dirais de passer la journée avec moi ? Je n’ai pas trop envie de rester seule aujourd’hui. 

     

     

    Samiel hésita, mais il se reprit très vite :

     

    - Je veux bien te tenir compagnie, je n’ai de toute façon rien de mieux à faire. Qu’est-ce que tu as prévu ?

    - Peut-être une balade au parc pour commencer ? Ensuite, on irait déjeuner, je connais un petit restau super sympa, si ça te dis ? 

    - Tout ce que tu voudras, je suis à ton service aujourd’hui, dit-il en souriant.

     

    Elle lui sourit en retour, et un rayon de soleil vint éclairer ses yeux gris faisant apparaître une myriade de petits éclats argentés. En la regardant, un souvenir émergea dans l’esprit de Samiel et il se souvint d’un jour d’automne où quelqu’un lui avait souri ainsi, il se rappela qu’il aurait tout donné pour ce sourire, il aurait même décroché la lune. Il devait avoir buggé depuis un moment car la voix d’Aelys le tira de sa rêverie :

     

    - Sam ? Ça va ?

     

    Avant qu’il ait eu le temps d’assimiler cette réminiscence du passé, un voile brumeux retomba dans son esprit. Il la regarda un peu perdu. De quel souvenir s’agissait-il ? Impossible de le savoir. 

     

    - Oui ça va. Dès que tu es prête, tu me dis ?

    - Donne-moi 5 minutes et on y va.

     

     

     

    Resté seul dans le salon pendant qu’Aelys se préparait, Samiel s’approcha de la fenêtre. Ses yeux dorés scrutèrent les nuages gris qui commençaient à s’éparpiller :

     

    *** Je sais que vous êtes intervenu et que vous m’empêchez de me souvenir de ma vie d’avant. Un jour, je découvrirai ce que vous essayez à tout prix de me cacher.***

     

     

     

     

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    < Chapitre 6  Chapitre 8 >   


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